CRISPR-Cas9 vous connaissez ?
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Parmi les fake news liées au Covid 19, celles décrivant la création du virus (à l'aide de CRISPR-Cas9) dans un laboratoire et sa libération volontaire ou accidentelle dans l'environnement. Ceci relance l'attention sur des scénarios qui eux ne sont pas des fictions:
L'état des lieux en trois points:
1. Les systèmes CRISPR-Cas9 et des ARNi naturellement présent dans les cellules, permettent, par simple détournement, la mise au point d'outils moléculaires permettant une édition précise et rapide des séquences d'ADN (Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna, 2014)( (David Liu 2019)). Il ne s'agit rien de moins que de modifier les gènes et le génome d'un individu et donc d'une espèce.
2. En 2018 la cour de justice de l'Union Européenne a estimé que les organismes obtenus par les "nouvelles techniques de sélection" ("New Breeding Techniques") sont soumis aux obligations de la directive concernant les Organismes Génétiquement Modifiés (OGM) de 2001. Dans ces techniques sont inclues l'utilisation de nucléases, la mutagénèse dirigée par oligonucléotides, l'édition du génome par l'utilisation du système CRISPR-Cas9 et plusieurs autres techniques de mutation dirigée qui ne relèvent pas des "méthodes traditionnelles dont la sécurité est avérée depuis longtemps". Cette décision met en échec les tentatives de l'industrie agroalimentaire pour contourner la directive sur les OGM. L'union européenne est assez seule (les Etats-Unis ont une législation bien plus permissive.
3. En 2018, un généticien chinois, He Jiankui, membre de l'université de Shenzhen, a utilisé ces techniques, un peu en catimini, sur des embryons humains. L'essai a été présenté comme une tentative pour protéger des embryons de l'infection par le virus du SIDA alors que leur père était séropositif. Le gène CCR5 qui code une protéine permettant à certaines souches de VIH d'entrer dans une cellule a été modifié (inactivé) chez ces embryons (et donc chez les deux bébés qui ont suivi). L'université de Shenzhen a déclaré ne pas avoir été mise au courant des expériences de He Jiankui, et a mis ce dernier en congé de l'université. Il a même depuis été emprisonné par le gouvernement chinois (qui ne fait guère dans les demi-mesures). L'événement est passé inaperçu du "grand public" et n'a suscité qu'une émotion limitée (et retardée) chez les scientifiques.
Outre le fait que la pertinence de cet essai a été critiquée d'un point de vie thérapeutique par les spécialistes du SIDA, on s'est rendu compte depuis que ce gène était connu pour intervenir dans la synaptogenèse et donc sur le fonctionnement du cerveau. On mesure alors que cette expérience avait très propablement d'autres buts que la protection contre une maladie (tenter d'influer sur "l'intelligence") et repose sur des conceptions scientifiques qui datent d'un autre temps (Des centaines de gènes voir plus sont impliqués dans le développement du cerveau, et nombreux sont les scientifiques qui admettent que la complexité des interactions entre ces gènes et l'environnement nous restera à jamais inaccessible). Il n'empêche que la Chine est un des pays au monde où les parents sont le plus désireux d'accroitre les capacités de leurs enfants fusse au prix de manipulations génétiques. Ce type de manipulation est cependant aujourd'hui interdit en Chine comme en France. Il ne l'est pas aux Etats-Unis.
Mi-mars 2019, 17 scientifiques (dont Emmanuelle Charpentier) de 7 pays appellent à un moratoire sur toute modification du génome héréditaire (des cellules de la lignée germinale). (2)
A moins avis, compte tenu des perspectives vertigineuses que révèlent cette technologie, il serait important de ne pas tomber dans le vide.
Sous couvert de guérir et de soigner, et encore plus discutablement sous couvert "d'améliorations" de l'espèce humaine (le dopage génétique, le transhumanisme) on sent qu'il va être très difficile d'en contrôler les usages.
Je terminerai sur une citation visionnaire mais pessimiste du biochimiste Erwin Chargaff datant de 1978 (Chargaff a participé à l'élucidation de la structure de l'ADN en 1953, mais a depuis toujours été très critique sur les développements de la biologie moléculaire): «Ce monde nous est prêté. Nous ne faisons qu'y passer, et au bout de peu de temps, nous laissons la terre, l'eau et l'air à ceux qui nous succèdent. Ma génération -ou peut-être celle qui l'a précédée- est la première à avoir livré à la nature une guerre coloniale exterminatrice sous la bannière des sciences. L'avenir nous maudira pour cela.»
Références
↑ Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna. 2014. Genome editing. The new frontier of genome engineering with CRISPR-Cas9. Science vol. 346 DOI: 10.1126/science.12580961 Aino Vesikansa. Journal of Central Nervous System Disease Volume 10: 1–13. DOI: 10.1177/1179573518787469 (Researchgate).
↑ Heidi Ledford. 2019. Super-precise new CRISPR tool could tackle a plethora of genetic diseases. Nature 574: 464-465. doi: 10.1038/d41586-019-03164-5 (Nature).
2 Eric Lander, Emmanuelle Charpentier & al. 13 March 2019. Adopt a moratorium on heritable genome editing. Nature 567: 165-168. doi: 10.1038/d41586-019-00726-5. (pdf)
Marianne Gomez. 18/03/2019. L'OMS se penche sur la modification du génome humain. La Croix.
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