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Hommage à Samuel Paty

Qu'un extrait de la lettre aux intituteurs et institutrices de Jean Jaurès, publiée le 15 janvier 1888 dans la Dépèche de Toulouse ait été lu lors de l'hommage de la Nation à Samuel Paty, le 21 octobre à la Sorbonne, fort bien. Que cette lecture soit imposée aux enseigant.e.s seul.e.s devant leur classe est un non sens. La lettre ne s'adresse pas aux élèves! (et est d'ailleurs incompréhensible, en particulier par un élève du primaire, sans un travail d'analyse et de contextualisation historique associé). En accord avec les syndicats d'enseignants, il avait été prévu que la lettre soit lue devant l'ensemble des élèves et des enseignant.e.s d'une école ou d'un établissement, avec la présence éventuelle d'élu.e.s locaux. Le ministre s'est assis sur ce protocole sous divers prétextes (la Covid-19 à bon dos).

Jean Jaurès par C215
Jean Jaurès, pochoir du street artiste C215, école Normale supérieure, rue d'Ulm, Paris 5e. Jean Jaurès a été élève de l'ENS et agrégé de philosophie.

Certains syndicats ont déposé un préavis de grève (mettant en avant un énième protocole sanitaire jugé illusoire), pendant que des enseignant.e.s sont allés relire la lettre de Jean Jaurès.

Surprise (?): le texte présent sur le site ministériel est tronqué (1). Certains paragraphes et non des moindres ont disparu. J'en ai choisi deux ci-dessous, avec mes commentaires.

S'y ajoute une sorte de "lapsus" révélateur (présent dans la lecture du 21 octobre et corrigé depuis), à la fin du premier paragraphe: le mot fierté remplacé par fermeté.

«J'en veux mortellement à ce certificat d'études primaires qui exagère encore ce vice secret des programmes. Quel système déplorable nous avons en France avec ces examens à tous les degrés qui suppriment l'initiative du maitre et aussi la bonne foi de l'enseignement, en sacrifiant la réalité à l'apparence! Mon inspection serait bientôt faite dans une école. Je ferais lire les écoliers, et c'est là-dessus seulement que je jugerais le maitre. »
Un paragraphe qui prend singulièrement sens quand on transpose le certificat d'études primaires de 1888 au baccalauréat à la sauce Blanquer et que l'on interroge l'évaluationnite qui infecte l'école française avec l'imposition de tests sommatifs permanents et inadaptés.

«Il ne faut pas croire que ce soit proportionner l'enseignement aux enfants que de le rapetisser.

Les enfants ont une curiosité illimitée, et vous pouvez tout doucement les mener au bout du monde. Il y a un fait que les philosophes expliquent différemment suivant les systèmes, mais qui est indéniable : « Les enfants ont en eux des germes, des commencements d’idées. » Voyez avec quelle facilité ils distinguent le bien du mal, touchant ainsi aux deux pôles du monde ; leur âme recèle des trésors à fleur de terre : il suffit de gratter un peu pour les mettre à jour. Il ne faut donc pas craindre de leur parler avec sérieux, simplicité et grandeur.»
S'il ne fallait choisir qu'un paragraphe à lire à la classe, je choisirais celui-là.

Ecrit alors que l'école de Jules Ferry est encore balbutiante et bien avant la publication de loi sur la laïcité, le message de Jean Jaurès s'oppose totalement à la politique ministérielle actuelle qui valorise le déchiffrer, écrire, compter (et l'importance excessive accordée à l'orthographe): Jaurès est visionnaire. A contrario de Jean-Michel Blanquer, Jean Jaurès vante la compréhension, l'ouverture d'esprit par la lecture, dénonce l'inutilité d'un certain type d'examens (ceux qu'affectionne Blanquer atteint d'évaluationnite aigüe). Et à la différence de Jean-Michel Blanquer, Jean Jaurès fait confiance aux enseignants (il a lui même enseigné quelques années en lycée).

De fait Jaurès, dans la ligne des fondateurs de l'Ecole de la troisème République, Jules Ferry et Ferdinand Buisson, défend la liberté d'enseignement, l'initiative et l'innovation pédagogique.

Tout le monde à le droit de ne pas partager la pensée de Jean Jaurès (Je doute que Jean-Michel Blanquer en soit un vrai fan), mais personne n'a le droit de changer le sens de ce qu'il a écrit ni de transformer le ministère de l'Education en ministère de la Vérité (cf 1984 de George Orwell).

Le 6 avril 2022 La famille de Samuel Paty a déposé plainte contre les ministères de l'Intérieur et de l'Education nationale pour "non-assistance à personne en péril" et "non-empêchement de crime".

(1) Devant la fronde, le ministère a publié une version longue, mais toujours incomplète.

Références

Willy Le Devin et Marie Piquemal, le 6 avril 2022. Manquements, défaillances, inaction: la famille de Samuel Paty porte plainte. Sur le site en ligne du journal Libération.

Grégoire Souchay, le 1er novembre 2020. Hommage à Samuel Paty : l'étrange tripatouillage de la lettre de Jean Jaurès. Sur le site en ligne du journal Libération.

Julien Cartier. Lundi matin je lirai la lettre de Jean Jaurès dans son intégralité. Lettre d'un enseignant à ses collègues, reprise sur le blog d'Olivier Tonneau.

Hommage à M. Samuel Paty. Les consignes officielles sur éduscol.

Jean Jaures. 1888. Lettre aux instituteurs et institutrices. La lettre originale (BnF). et aussi sa contextualisation.

Cas d'école - L'histoire de Samuel. La véritable histoire de la mort de Samuel Paty. On ne peut qu'être affligé devant le cynisme du ministre de l'Education.
Enquête sur les événements survenus au collège du bois d'Aulne à Conflans Sainte Honorine. L'enquête officielle de l'inspection générale (IGESR).

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