Rentrer, oui mais comment ?
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Le discours présidentiel du 13 avril
«A partir du 11 mai, nous rouvrirons progressivement les crèches, les écoles, les collèges et les lycées.
C’est pour moi une priorité car la situation actuelle creuse des inégalités. Trop d’enfants, notamment dans les quartiers populaires et dans nos campagnes, sont privés d’école sans avoir accès au numérique et ne peuvent être aidés de la même manière par les parents. Dans cette période, les inégalités de logement, les inégalités entre familles sont encore plus marquées. C’est pourquoi nos enfants doivent pouvoir retrouver le chemin des classes. Le gouvernement, dans la concertation, aura à aménager des règles particulières : organiser différemment le temps et l’espace, bien protéger nos enseignants et nos enfants, avec le matériel nécessaire.» (1)(2)
Tenir l'objectif et respecter les contraintes annoncées semble une gageure, sinon totalement impossible.
Comment les enfants et adolescents pouront-ils respecter les gestes barrière à 35 par classe ou plus? comment pourront-ils se laver régulièrement les mains chaque fois qu'ils toucheront du matériel touché par d'autres ? Comment imaginer qu'ils ne portent pas de masque si on en porte dans les transports publics ?
«Le 11 mai, nous serons en capacité de tester toute personne présentant des symptômes.»
Le problème c'est que les enfants présentent rarement des symptômes. Et qu'au jour d'aujourd'hui on ne sait pas vraiment dans quelle mesure ces porteurs asympomatiques peuvent transmettre le virus (cela semble varier avec l'âge, faible pour des élèves de maternelle, pour se rapprocher de la transmission entre adultes après l'âge de 10 ans: étude de chercheurs de l'institut Pasteur sur la diffusion du virus dans le collège de Crépy en Valois Fontanet et al, 2020). Cela fait beaucoup (trop) d'inconnues.
Débrouillez-vous (1)
Et le 14 avril le ministre de l'intérieur indiquait que le 11 mai était un objectif et non une certitude. Le même jour le ministre de l'Education indique que le retour à l'école ne sera pas obligatoire (France 2).Le 20 avril le premier ministre explique que l'ouverture des écoles sera peut-être étalée géographiquement (par exemple par région ou département) ou sera partielle (une semaine sur deux pour réduire les effectifs. D'autres pistes sont envisagées qui priviligéraient certains élèves comme les "décrocheurs").
Le 21 avril Le ministre de l'éducation, Jean-Michel Blanquer explique devant les députés qu'à partir du 11 mai les élèves pourront être dans 4 situations:
- En enseignement à distance;
- En demi-groupe présent en classe («Le plafond sera peut-être différent pour l'école primaire et pour l'enseignement secondaire mais il pourrait être de 15 élèves»);
- En étude
- En activité sportive, «à côté de l'établissement»
Le 20 avril le comité scientifique publie une note générale sur la Sortie progressive de confinement. Cette note qui n'a été mise en ligne que le 25 avril propose en p16 de «maintenir les crèches, les écoles, les collèges, les lycées et les universités fermés jusqu'au mois de septembre» tout en prenant acte de la décision politique «de réouverture progressive et prudente». On comprend sans peine que ce comité scientifique est tout sauf enthousiaste, mais il s'est résolu à écrire une seconde note (ci après).
Le 24 avril le comité scientifique publie une longue note mise en ligne le 25 avril sur le (site du ministère de la santé), indiquant les Conditions sanitaires minimales d’accueil dans les établissements scolaires et les modalités de surveillance des élèves et des personnes fréquentant ces établissements à partir de la rentrée des classes. Les exigences sont assez simples mais demandent des moyens (pour la mise en oeuvre):
- port obligatoire du masque à partir du collège et progressivement en primaire (sauf évidemment pendant les repas);
- lavage des mains à l'entrée et à la sortie de la classe (l'académie de médecine le recommande plus souvent);
- distanciation sociale: 1m minimum entre chaque élève, repas préconisé sur les tables des salles de classe;
- nettoyage bi-quotidien des locaux;
- pas d'entrée des parents dans l'école et mesures pour éviter les rassemblements lors des entrées et sorties;
- pas de croisement dans les couloirs;
- pas de récréation entre élèves de classes différentes (pour éviter d'avoir à fermer toute l'école si un cas d'infection est détecté);
- isolement et test (PCR) de tout élève ou adulte présentant des symptômes et de ses contacts;
- maintien de l'isolement pendant 14 jours si le test est positif;
- fermeture de la classe concernée pendant 14 jours (ou de toutes les classes ayant des contacts avec le sujet concerné si telle est l'organisation): la simple application de cette mesure risque de fermer nombre de classes à peine celles-ci rouvertes.
Les exigences du conseil scientifique semblent en dessous de celles préconisées la veille par l'académie de médecine sur deux points: le port du masque, dont la préconisation en primaire reste floue (l'académie de médecine l'imposait lors des récréations, ainsi qu'à l'entrée et à la sortie des classes) et la prise de température à l'entrée des établissements considérant cette dernière difficile à mettre en œuvre en respectant le distanciation entre élèves. Elles sont cependant plus précises pour tous les autres (ce qui est normal vu leurs rôles respectifs).
Cette note du conseil scientifique est draconnienne (à condition qu'elle soit respectée, mais on peut craindre qu'elle ne le soit pas): à bon entendeur, monsieur le Ministre !
Un discours prudent du premier ministe
Le 28 avril le premier ministre présente aux députés une proposition prudente, sorte de voie médiane entre recommendations médicales et injonction présidentielle.
Jean-Michel Blanquer est à nouveau désavoué (mais il l'a bien cherché): les écoles rouvriront comme annoncé le 11 mai (et les élèves seront reçus à partir du 12, tous niveaux confondus, mais avec 15 élèves maximum par classe). Maires et enseignants "géreront" en fonction du nombre d'élèves volontaires (s'il y a trop de volontaires pour rester sous la limite de 15, il faudra mettre en place une alternance entre élèves: un jour sur deux ou une semaine sur deux). Par contre le 18 mai les 6e et 5e rentreront uniquement dans les départements classés "verts" dans lesquels la circulation du virus sera suffisamment faible. Et pour toutes les autres classes à partir de la quatrième, la décision est reportée à la fin mai.
Depuis le début de cette épidémie Jean-Michel Blanquer fait partie des ministres qui ont le plus grand mal à prendre conscience de la réalité sanitaire de la situation (cf Le ministre du déni et Un dernier mensonge). «Jean-Michel Blanquer parle pour le plaisir d’exister. Ça le rend ivre de rage de ne pas être au centre de l’image» (Libération 4 mai 2020).
Du coup, à part les lycéens et leurs enseignants qui continueront à travailler à distance (ce qui est déjà difficile en lycée professionnel vu la prédominance des heures d'atelier), on ne voit plus bien comment les enseignants de primaire et de collège pourront prendre à la fois les élèves en présentiel et les élèves en cours à distance sauf à faire des journées doubles. L'organisation de l'oral du bac de français semble délicate surtout si la liste actuelle des textes à étudier est maintenue (le 29 avril 7 syndicats d'enseignants, 2 syndicats lycéens et la FCPE ont écrit au ministre pour demander l'annulation de l'oral).
La responsabilité de l'ouverture des cantines est laissée aux maires et aux conseils généraux et les enseignants porteront un masque fourni par l'administration (encore un désaveux pour J.-M. Blanquer). Les collégiens devront aussi en porter.
La mairie de Paris envisage de limiter les effectifs à 8 en maternelle et à 12 en primaire et de donner une priorité aux enfants de soignants, des personnels de la Ville, des enseignants, des salariés des transports publics et encore aux élèves en grande difficulté sociale, scolaire ou familiale (Franceinfo, 1er mai).
Débrouillez-vous (2) (mise à jour du 4 mai)
La publication d'un protocole sanitaire avait été annoncée pour le 1er mai. Deux projets (l'un pour l'école et l'autre pour le secondaire) avaient filtré. Ces premières versions reprenaient assez bien les préconisations du conseil scientifique (protocole). L'accouchement des versions définitives s'est révèlé difficile, avec trois jours de retard par rapport à la date annoncée. Ces protocoles restent longs et complexes, à la fois reculade (par exemple sur un point ultra sensible comme le port de masque) et moins rigides, comme la question de la cantine. Plus souples, mais aussi plus flous, de lourdes responsabilités sont abandonnées aux collectivités territoriales et responsables d'établissement: «limiter au maximum les files d'attente et les croisements de groupes d'élèves dans les couloirs» quand on ne donne aucun critère est totalement subjectif; pour un protocole, cela ne veut rien dire.
Le port du masque ("grand public") est obligatoire pour les élèves des lycées et collèges «dans toutes les situations où le respect des règles de distanciation risque de ne pas être respecté». Ceci sous-entend que le masque n'est pas obligatoire pour les élèves assis à leur place en classe (il l'est par contre pour les enseignants qui "circulent" au sein de la classe) (p.7). Dans la mesure où le masque demande une certaine technique pour le mettre en place et le retirer, mieux vaudrait que les élèves n'aient pas à le faire trop souvent et cette contradiction est apparue avec la seconde version.
Insidieusement mais bien plus grave, les consignes véhiculent une conception de l'enseignement qui remonte à Jean-Baptiste de La Salle, donc au 18e siècle. En évitant les tables d'élèves disposées en face à face (p.26), on réduit la communication à celle du maitre vers les élèves. En évitant tout partage d'objet sans désinfection intermédiaire, la pédogogie est réduite à plus grand chose, à un exposé de théories abstraites, à la lecture de vidéos (p.41). En éducation physique, les élèves resteront en tenue toute la journée (ou sans tenue?) pour ne pas passer par le vestaire. Cette version de l'école se révèle souvent plus pauvre que l'école distanciée à la maison, sauf si on demande aux élèves d'échanger sur ce qu'ils ont fait chez eux! Le présentiel en alternance ne serait finalement pas une mauvaise chose...
Le protocole ne définit pas d'effectif maximal par salle, mais indique seulement comme nécessité un espace d'environ 4 m2 par personne (une salle de 50 m2 devant pouvoir accueillir 16 personnes: le rédacteur semble assez mauvais en calcul (4 x 16 = 64); en fait il "triche" en réduisant la surface accordée aux élèves placés le long d'un mur). Hors dans de nombreux cas on s'aperçoit que pour maintenir une distance de 1 m entre élèves et un couloir de circulation, on ne peut pas mettre plus de 8 élèves dans 50 m2.
Au delà des protocoles (ce n'était pas leur rôle), les modalités grâce auquelles on assure la distanciation physique (par exemple la classe un jour sur deux) sont laissées à l'initiative locale, sauf pour les internats où il préconisé une semaine sur deux (en passant la rentrée dans les internats semble totalement irréaliste).
La Fédération des Conseils de Parents d'Elèves (FCPE) a lancé une pétition pour réclamer le droit à un arrêt de travail pour garde d'enfant «alors même que l'État n'est pas en capacité d'assurer une rentrée dans de bonnes conditions pour tous».
Et malheureusement le retour au passé (pas le monde d'avant l'épidémie, le monde d'avant avant -le monde d'avant la révolution française-) est acté dans la circulaire du 4 mai, sans surprise pour un ministre dont il n'y a vraiment rien à espérer. Résistons !
«Nous appelons le gouvernement à nous faire confiance pour organiser un retour progressif des élèves sans pression ni injonction, notamment en termes de contenu scolaire, et en nous donnant le temps nécessaire». Pétition commune du SE UNSA, SNUIPP, SGEN-CFDT: Aucune reprise sans garanties sanitaires et pédagogiques.
Face à l'incertitude, diversité fait loi (France TV Info, 30 avril)
A Pékin, seuls les lycéens de dernière année ont été autorisés à revenir en classe pour préparer le gaokao, l'examen d'entrée à l'université. Les élèves doivent garder leurs distances. Des salles de sport ont été aménagées pour que les enfants mangent espacés. Tous les élèves portent un masque, quel que soit l'âge.En Autriche, les 100 000 bacheliers rentreront le 4 mai, pour préparer l'examen de fin d'année.
En Italie, seul l'examen de la maturita (équivalent du bac) sera maintenu, mi-juin, sous la forme d'un oral. A cette exception tous les élèves rentreront en septembre.
Au Danemark, seules les écoles primaires ont rouvert; le gouvernement a encouragé les professeurs à travailler à l'extérieur.
En Norvève, les barnehager, qui font office de crèches et de maternelles, ont été les premières à rouvrir; les enfants de moins de 3 ans doivent être regroupés sous la responsabilité d'un adulte, en petits groupes de trois, et ceux de 3 à 6 ans en groupes de six, sans se mélanger avec les autres.
Au Pays-bas, seules les écoles rouvriront le 11 mai et un jour sur deux pour réduire les effectifs.
En Espagne, un accueil des enfants de moins de 6 ans est prévu lorsque les deux parents travaillent en présentiel, les autres élèves rentreront en septembre.
Aucune date de reprise n'est envisagée au Royaume-Uni.
On voit que dans l'annonce présidentielle le mot clé était progressivement et que l'objectif reste redoutable si on veut conserver le bénéfice du confinement mené jusqu'à aujourd'hui.
Et l'oral de français est... annulé (mise à jour du 28 mai)
Jean-Michel Blanquer a fini par céder aux 7 syndicats d'enseignants, aux 2 syndicats de lycéens et à la FCPE qui demandaient l'annulation de l'oral.Références
1 Le discours intégral. Le Monde, 13 avril 2020.
2 Le discours intégral. (vidéo You tube)
↑ Arnaud Fontanet et al. 2020 april 23. Cluster of COVID-19 in northern France: A retrospective closed cohort study. MedRxiv doi.org/10.1101/2020.04.18.20071134.
↑ Communiqué de presse. pdf du SNUIPP (syndicat d'enseignants majoritaire de l'enseignement élémentaire).
↑ Communiqué du 23 avril. Académie nationale de médecine (pdf).
↑ Note du 20 avril sur le déconfinement. Conseil scientifique (pdf téléchargeable sur le site du ministère de la santé).
↑ Note du 24 avril sur les mesures sanitaires pour la réouverture des écoles... Conseil scientifique (pdf téléchargeable sur le site du ministère de la santé).
↑ Protocole sanitaire: versions définitives: écoles, enseignement secondaire. Publiés par le ministère de l'Education (pdf). versions préliminaires: écoles, enseignement secondaire.
↑ circulaire relative à la réouverture.
↑ Quelle rentrée des classes pour les élèves confinés à l'étranger ? France TV Info.
2 Le discours intégral. (vidéo You tube)
↑ Arnaud Fontanet et al. 2020 april 23. Cluster of COVID-19 in northern France: A retrospective closed cohort study. MedRxiv doi.org/10.1101/2020.04.18.20071134.
↑ Communiqué de presse. pdf du SNUIPP (syndicat d'enseignants majoritaire de l'enseignement élémentaire).
↑ Communiqué du 23 avril. Académie nationale de médecine (pdf).
↑ Note du 20 avril sur le déconfinement. Conseil scientifique (pdf téléchargeable sur le site du ministère de la santé).
↑ Note du 24 avril sur les mesures sanitaires pour la réouverture des écoles... Conseil scientifique (pdf téléchargeable sur le site du ministère de la santé).
↑ Protocole sanitaire: versions définitives: écoles, enseignement secondaire. Publiés par le ministère de l'Education (pdf). versions préliminaires: écoles, enseignement secondaire.
↑ circulaire relative à la réouverture.
↑ Quelle rentrée des classes pour les élèves confinés à l'étranger ? France TV Info.
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